Il est simple et pourtant…
Comme à tous les enfants un jour, certainement en CE2, on m’a posé cette fameuse question : « qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? ».
À laquelle j’ai répondu en souriant : « je veux jouer ». Je n’avais peut être pas bien cerné la question à moins que justement je l’ai très bien appréhendée… J’adorais jouer et pas question pour moi à l’époque d’arrêter et de finir par leur ressembler. La vie qu’ils me promettaient ne m’intéressait pas. Je voulais continuer à m’amuser.
Évidement ça n’était pas la réponse attendue : « mais tu sais il va falloir grandir et trouver un métier ».
Cette phrase m’a littéralement hantée : « il va falloir grandir et trouver un metier… »
J’ai simplement refusé et ça m’a très longtemps fait culpabiliser. J’avais presque honte, une fois à l’âge adulte, de vouloir continuer à jouer. On m’a si souvent répété que jouer ne servait à rien…
J’avais l’impression de ne pas avoir grandi, d’être restée une enfant, de ne pas avoir accepté les contraintes de la vie.
Alors presque clandestinement j’ai continué à jouer, je n’ai jamais su m’en passer. Je faisais semblant d’être « sérieuse » et en cachette dès que possible je jouais y compris dans mon activité professionnelle.
Et ça m’a été violemment reproché…
J’étais kiné, je bossais avec les enfants IMC (infirmes moteurs cérébraux). J’ai toujours adoré bosser avec les enfants, je trouve leur regard sur le monde souvent juste et j’aime leur capacité à s’émerveiller. Et là dans l’adversité, le plus souvent cloués sur un fauteuil roulant, ils riaient, jouaient.
J’ai assez vite refusé de pratiquer une kiné classique faite d’étirements douloureux et de mises en postures archaïques. Ou du moins j’ai souhaité adapter cette kiné pour la rendre supportable, acceptable et plus efficace.
J’ai commencé doucement pendant ce que les enfants appelaient « la torture ». Ils étaient tous les matins verticalisés, mis en position debout, jambes écartées et attachés à une table. Je ne détaillerai pas ici l’intérêt de ces postures qui faisaient déjà à l’époque débat. Mais je ne supportais pas de les voir comme ça souffrir en attendant les 20 ou 30 minutes nécessaires à un hypothétique mieux être. Avec mes collègues on a commencé à chercher des stratégies pour alléger ce moment et lui redonner plus d’humanité. J’ai commencé doucement en lisant aux enfants des histoires notamment le 1er tome d’Harry Potter. Ça a tout changé. Ce moment de « torture » est devenu un moment attendu, ils voulaient connaître la suite. Et quand certains ne comprenaient pas bien l’histoire alors les autres s’en mêlaient et leur racontaient ce qu’ils en avaient compris. Très vite avec une super maitresse on a commencé à collaborer. Elle reprenait des passages de l’histoire pour la classe, travaillait la compréhension, leur faisait raconter une suite possible, les faisait dessiner et même compter des gallions. Pendant de longs mois le centre de rééducation s’était transformé en Poudlard, on inventait des formules magiques et on se transformait en apprentis sorciers. Et on s’est bien amusé… Oh oui on s’est bien amusé… Et en bonus les enfants ont progressé…
Progressé sur tous les tableaux : motricité, compréhension, communication, logique, expressivité. Sans compter le bonheur et la joie partagée.
J’ai donc continué sur cette lancée et enchaîné les projets avec une instit, un orthophoniste et un ergothérapeute. On a monté un atelier jeux de société, un atelier musique du quotidien, un atelier théâtre. Les enfants ont adoré, ont évolué comme jamais, on s’est bien amusé… Oh oui on s’est bien amusé… Et en bonus les enfants ont de nouveau progressé…
Mais un matin, après 2 ans passés à m’investit comme jamais dans ces différents projets, j’ai été « convoquée » chez la grande cheffe. Je savais que c’était mauvais. Elle nous avait laissé monter ces projets « tests » mais on sentait que ça ne lui plaisait guère. Et là cette phrase est tombée comme un couperet : « vous n’êtes pas payés pour jouer, vous vous êtes bien amusés mais maintenant les ateliers c’est terminé ».
J’ai pleuré, de rage, d’incompréhension, j’ai pleuré, les enfants ont pleuré, on a tous pleuré. J’ai essayé de négocier, de m’adresser à la hiérarchie, au médecin chef, à la direction mais rien n’y a fait, tout a été balayé.
J’en fais encore des cauchemars et mon cœur se serre rien qu’en vous écrivant ce témoignage. Et pourtant je l’ai souvent raconté…
J’ai fini par être forcée de démissionner, on nous empêchait de travailler, on nous imposait de reprendre des séances plus classiques, fini, terminé de s’amuser. On était traqué, épié, nos emplois du temps verrouillés, nos idées refusées. L’ergo, l’ortho et l’instit avec qui on avait mis en place certains de ces ateliers ont dû partir aussi, poussés vers la sortie à coup de harcèlement moral et d’autres joyeusetés.
Je ne me suis jamais vraiment remise de cet échec, j’ai toujours l’impression d’avoir abandonné quand j’aurais dû crier plus fort, me battre plus fort, les aider plus fort.
Mais j’ai retenu une leçon de vie : le jeu, l’amusement fait grandir, aide à accepter des situations très difficiles, aide à progresser. Le jeu c’est sérieux et je ne laisserai plus jamais personne prétendre le contraire.
Le jeu sert à apprendre, à progresser, à s’épanouir, à supporter les moments compliqués, à rire, à collaborer, à communiquer, à se dépasser. À être plus heureux tout simplement.
Je ne serai jamais cette adulte qui en acceptant de grandir abandonne l’amusement, ce serait renoncer et accepter une vie que je n’ai pas choisie. Car dans la vie ce que je veux n’a pas changé : je veux jouer, profiter, savourer. Je crois d’ailleurs que la vie est un jeu. C’est en apprenant à y jouer que je grandis, m’épanouis. J’ai même fini par les trouver ces fameux métiers et vous savez quoi mon fils m’a dit :
- maman ton travail il est trop cool, tu fais que t’amuser
- oui chéri, c’est exactement ça, t’as tout compris !